Eduard Florin TudorEduard Florin Tudor
19.10.2015

Sapere aude, donc «Ose savoir»

L’introduction d’un livre porte ce titre que j’ai choisi pour le mien en essayant de commencer l’analyse, après une lecture appuyée, de l’ouvrage 1 kilo de culture générale, écrit à quatre mains par Florence Braunstein et Jean-François Papin et paru chez PUF en 2014. 1680 pages, ni plus, ni moins, de présentation de l’histoire du monde jusqu’à nos jours; les grands thèmes d’une belle culture générale y sont présents. Ne pas oublier et à en prendre en considération: la culture générale est une belle tradition franco-française qui forge les esprits, qui construit les caractères et qui invite à la quête du détail significatif. D’ailleurs, «sapere aude», une formulation appartenant à Horace dans sa première Epître, est reformulée et utilisée par Emmanuel Kant pour définir les Lumières et le courage de l’homme de sortir de son cercle étroit pour connaître et façonner le monde, en se renouvelant sur la fondation d’une nouvelle ouverture: «Aie le courage de te servir de ton propre entendement!» .

Les deux auteurs, universitaires et passionnés de culture, ayant déjà écrit chacun à son tour une trentaine d’ouvrages, s’acharnent à démontrer, encore et encore, que la culture générale est aussi un acte de courage: oser savoir, en suivant l’adage latin, c’est oser pénétrer et maîtriser l’histoire de monde, dans ses coins et ses recoins, des grandes découvertes aux littératures, des types d’architecture et de musique aux grandes dates qui ont fait notre civilisation. Une civilisation humaine en synchronie et en diachronie, dans les 6000 entrées du livre, et étalée dans les six parties, de la Chine et le Japon, en passant par le Proche Orient et l’Europe, jusqu’à l’Afrique et l’Amérique.

Façonner le monde, c’est oser savoir le présenter tel qu’il est, avec son cortège de drames et de disparitions, de découvertes et de joies, pour ne pas oublier les technologies surgissant du travail de recherche des passionnés. C’est ainsi que la photo est née : Nicéphore Niépce découvre la photo en 1816, Louis Daguerre l’utilise entre 1826 et 1833 sous la forme du daguerréotype. L’image est saisie à long terme, l’instant vit des moments de gloire, y compris de nos jours. Un bel exemple de démarche, dont on peut rendre compte avec difficulté car la matière est accablante, de la part de ce brillant couple d’universitaires, Braunstein-Pépin, qui range dans ce grand tome l’histoire du monde avec une précision aristotélicienne, une pédagogie certaine et une expérience culturelle témoignant d’une rare ouverture, même de nos jours.

Retracer l’histoire de cet ouvrage, c’est aussi retracer l’histoire de l’alphabet qu’on utilise. Les Romains, se fondant sur l’écriture étrusque, ont fait surgir leur fameux alphabet dont on se sert depuis plus de 2000 ans. Mais, à l’origine, ce sont les Phéniciens de Byblos qui avaient inventé la première écriture alphabétique qui ne notait pas les voyelles, d’où les alphabets hébreu, araméen et arabe. De l’autre côté, les Grecs notent les voyelles, d’où la naissance de leur célèbre alphabet. De plus, les hiéroglyphes avaient inspiré les Phéniciens, donc l’Egypte se présente encore une fois comme une civilisation fondamentale. Sans doute, la Phénicie et la Grèce bénéficient-elles d’un bon nombre de pages dans cette œuvre : on y retrouve leurs alphabets et leurs arts, leurs religions et leurs écrits, leurs grandes dates et leur évolution.

C’est pour dire ce que nous devons à nos ancêtres, ayant habité cet espace proche-oriental et ayant eu le goût de l’innovation et de la technologie. Et parmi ces faits de haute technologie, notre alphabet. Le guide 1 kilo de culture générale y recourt, lui-aussi, dans ses millions de signes pour transmettre des dizaines de milliers d’informations, thésaurisées, certainement, pour une très longue période. Le savoir s’y retrouve bien.

La cinquième partie est consacrée aux temps modernes: les bouleversements de la Renaissance, les développements dans les grands pays présentés de manière détaillée et le siècle des Lumières. Les informations sur la littérature, la musique, les religions et ses guerres, la situation politique, la naissance d’un nouveau monde et tant d’autres brossent un portrait de cette période. L’Espagne, la France, la Russie, l’Allemagne et l’Angleterre, l’Italie et l’Empire Ottoman trouvent leur place de choix, mais aussi l’Ethiopie au XVIIIe siècle. La philosophie de ces époques, avec ses combats dont on ressent l’écho de nos jours, est prise en compte avec ses données essentielles et les grandes figures qui ont fait bouger notre monde.

L’époque contemporaine est présentée du point de vue des événements nouveaux (les guerres, mais aussi la naissance des surpuissances), sans oublier les littératures ou les sciences humaines. Un fait remarquable : treize sous-chapitres du chapitre XXXIII sont consacrés aux littératures, des grands débats littéraires en France depuis 1945 jusqu’à la littérature indienne contemporaine, en passant par la littérature yiddish (Singer) ou par celle arabe, sans oublier les littératures de l’Amérique du Sud. Trois index (des noms, des œuvres et des lieux) facilitent la lecture de ce grand ouvrage de Florence Braunstein et Jean-François Pépin.

Passionnant, plus que documenté, 1 kilo de culture attend ses lecteurs. Un chiffre qui en dit beaucoup de la réception de ce livre dans l’espace français: plus de 100 000 exemplaires vendu jusqu’à ce jour-ci. Heureux auteurs, heureux lecteurs! Florence Braunstein et Jean-François Pépin accomplissent un devoir de culture avec une abnégation spécifique aux esprits les plus illuminés. La grande culture est servie, nous, les lecteurs, aussi. Lire ce livre, c’est essayer de saisir notre entendement et celui de notre monde. Osez savoir!

Florence Braunstein et Jean-François Pépin, 1kilo de culture générale, PUF, Paris, 2014, 1680 pages.