Eduard Florin TudorEduard Florin Tudor
03.10.2016

L’éducation comme retour aux sources

La problématique de l’éducation revêt l’histoire même du continent. Sur le plan européen, plusieurs fois depuis quelques siècles, de manière récurrente, il y a, dans c domaine, une question qui se pose. Y a-t-il une continuité entre les savoirs de l’Antiquité et ceux de la Renaissance ? Si la réponse est affirmative, de quelle manière, des penseurs après la Seconde Guerre, puis ceux des années 2000, ont-ils la possibilité de s’approprier cette histoire de transmission pour devenir eux-mêmes des passeurs de culture ? Dans l’Introduction d’un livre, plutôt universitaire, réunissant des études sur l’éducation à la Renaissance, Education, transmission, rénovation à la Renaissance, les possibles réponses de l’impact des connaissances sur l’histoire culturelle européenne, sont présentées. De même, les nouvelles définitions de l’humanisme, tant mis à l’épreuve au XXe siècle, se fondent sur celles de la Renaissance : « Nous partageons avec l’humanisme de la Renaissance une même expérience de la rupture dans les formes de la transmission : parentale, scolaire, culturelle. » (p. 3) Donc, ce sont les formes de cette façon d’éduquer, donc de transmettre et de rénover qui cherchent des réponses se fondant sur celles de la Renaissance car cette époque-là avait, selon les auteurs de l’Introduction, au moins un critère commun avec la société actuelle : la rupture. Comment gérer la rupture dans l’histoire culturelle pour faire un passage en douce à un nouveau modèle culturel ? Voici des réponses recherchées par les spécialistes dont les études réunies dans ce livre s’interrogent sur l’éducation à la Renaissance.

Les deux grands maîtres à penser le monde grec et la Renaissance, Jacqueline de Romilly et Pierre Magnard, construisent leur argumentation sur l’idée du retour aux origines. La Renaissance se dévoile comme une période vivant de ce retour aux sources antiques, les textes et les grands noms de la civilisation antique (du côté gréco-romain) ainsi que la valorisation de la nature qui, transmise comme vraisemblable, forgent des concepts et soutiennent l’importance de l’expérience. Des formulations écrites par Jacqueline de Romilly semblent poser des jalons : « On pourrait dire que tout commence avec le Platon de Marsile Ficin par exemple » (p.11), ou « On s’équipe et peu à peu apparaissent les textes. » (p.12). De Romilly souligne aussi l’importance des traductions des textes, du grec, en premier, l’enseignement du grec, la fondation de Collège de France par François Ier et l’apparition des instruments de travail (grammaires, lexiques etc.). Rabelais connaissait le grec, Ronsard s’inspire de Pindare et Du Bellay crée grâce à des inspirations du modèle poétique grec. La marche de la médiation commençait, la porte de l’Antiquité était ouverte. La même volonté de découverte, même si dans ce cas il s’agissait d’une époque révolue, caractérisait les grands humanistes partis à la recherche des terres inconnues dans les textes anciens. Centrés sur l’homme, selon Jacqueline de Romilly, ces textes classiques, devenus de choix pour les humanistes, transmettent aussi des valeurs universelles : « Mais cela veut dire qu’ils transmettent par là un certain idéal, à la fois civique et plus largement humain, ou spirituel même, et que l’on peut à leur contact retrouver cette étincelle qui ranime le zèle pour ces vertus qui sont en réalité la condition du bien de l’homme. » (p.17).

Pierre Magnard s’essaie de construire une définition, à voix multiples, certainement, de la Renaissance. En premier, le terme désigne, du point de vue religieux, la rénovation par le baptême, le nouvel homme loin du péché de sa naissance. A la fin du XVIIe siècle, la Renaissance désigne la rénovation d’une institution tandis que le mot, avec majuscule, dès le XIXe siècle marque le retour « aux humanités classiques », réalisé en Italie et en France « à partir du XVe siècle » (p.20). Guillaume Budé, dans une formulation fameuse, caractérisait l’esprit de métamorphose de cette époque par transitus ab hellenismus ad christianismum. Cette idée de rénovation, selon Pierre Magnard, part de Marsile Ficin qui trouve l’origine du christianisme dans le platonisme. Une métaphore adéquate offre, probablement, la meilleure définition de la Renaissance : « Pour sûr que l’arbre chrétien est malade : dix siècles de régime théologico-politique l’ont épuisé, au point qu’il faut tailler, couper, rompre avec une tradition mortifère et greffer des rameaux sur la souche grecque que l’on vient de redécouvrir. » (p.21). Le constat de Pierre Magnard sur les dangers de l’époque moderne est assez triste : « Que tant de livres aujourd’hui se ferment au plus grand nombre, c’est le grand livre de la Nature qui devient lui-même illisible. Oui, l’oubli d’Athènes et de Rome, c’est la retombée de l’humain dans le borboron borborikon. » (p.27).

De l’autre côté, la Renaissance vit grâce à des figures tutélaires antiques, un Cicéron remis au goût du jour, ou un Virgile avec ses descriptions.  A partir de Platon, dans une étude de Jean-François Matéi sur « Platon et l’humanisme » la Renaissance est vue comme une participation à l’archéologie d’un passé textuel et sage à la fois qui pourrait définir l’homme au centre de l’univers. Sans toutefois oublier un saint Augustin ou un Platon sur les théories duquel la période renaissance était vue comme une reconstruction, sous le nom d’humanisme, de la relation de l’homme avec le monde. Des noms comme celui de Pétrarque, selon Jean-François Matéi, illustrent cette dualité qui marque la Renaissance : d’un côté, le retour aux sources antiques (littératures et rhétoriques, ou philosophies, y compris), de l’autre, la nouveauté. Sans se déraciner, mais au contraire s’enraciner dans un passé glorieux (les temps d’or), la Renaissance construit sa propre originalité, sachant faire revivre une pléiade de penseurs et de créateurs de l’Antiquité. L’anthropocentrisme, une autre caractéristique de la Renaissance, aurait pu avoir un autre point de départ, comme figure de médiation : non Platon, mais ce saint Augustin de La cité de Dieu.

Jean-Louis Vieillard-Baron se penche sur l’éducation telle qu’elle est vue et prônée par un Montaigne. Diversité et curiosité, voici ce que Montaigne, parmi tant d’autres idées maîtresses, nous enseigne. De plus, Montaigne pose la question de l’éducation morale, car l’idéal n’est pas « politique », mais « civique », donc « C’est un art de vivre que vise l’éducation montanienne. » (p.34). La civilité et le vivre-ensemble sont les deux impératifs de cette éducation. Vieillard-Baron retrouve et remet en question, en détaillant, trois questions sur l’éducation : l’universalisme de l’éducation, le rapport entre l’éducation familiale et celle objective et le souci de soi et le souci de l’autre. Une belle phrase en guise de conclusion sert de devise : « L’éducation intellectuelle ne suffit pas » (p.38).

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La Renaissance ne pourrait pas être étudiée sans cette relation spéciale de l’homme avec Dieu. La rénovation, dans ce sens, se réalise grâce à la Réforme. Le monde bascule dans un autre paradigme. Olivier Millet, dans une étude riche, en très bon connaisseur du sujet, refait ce chemin de la relation à la Renaissance entre le sacré et le profane selon Calvin. La Réforme a donné des ailes à la connaissance et donc au monde ancien, aux langues comme le grec ou l’hébreu, à une autre manière de rapporter les Ecritures au savoir d’origine profane. Calvin est préoccupé, au fil de ses recherches, par cette relation enrichissante entre la Bible et la culture profane, tout en tenant compte des aspects comme la Révélation, la tradition, le travail des Prophètes ou, peut-être l’axe le plus important, l’exégèse. Celle-ci devient la manière la plus appropriée de comprendre le divin dans ses rapports avec l’humain à travers la Bible, les commentaires et l’interprétation. La renaissance de l’herméneutique réformée, comme un miroir du commentaire antique, revêt un aspect d’originalité de cette période prolifique ou l’homme rencontre Dieu grâce à la nouvelle lecture du monde, de l’Ecriture et de son statut « réformé », « rénové ».

Les chercheurs de prestige ayant participé à ce colloque de quatre jours sur l’éducation à la Renaissance ont détaillé dans ce volume les résultats de leurs préoccupations intellectuelles et morales. Au-delà de leur passion pour un domaine du sujet débattu, on distingue l’ouverture, l’universalisme, l’idée de transmission comme devoir, « la translation » des études, tout cela étant valable dans le monde contemporain tout comme les humanistes de la Renaissance ont essayé de démontrer: l’éducation se fonde sur la découverte, sur la rénovation et sur un incessant rapport au soi et à l’autre. Sans ces détails, le monde n’avance plus, la connaissance devient stérile et les relations n’ont plus rien d’enrichissant, mais au contraire, se focalisent sur un soi dépourvu d’entendement et de profondeurs. Le sujet n’est plus soumis à une herméneutique mais à une pratique encomiastique. Un chemin qui ne mènera nulle part sans ce retour aux sources de la connaissance, donc aux fondements de l’éducation à la Renaissance.

Education, transmission, rénovation à la Renaissance, Textes réunis par Bruno Pinchard et Pierre Servet, Cahiers du GADGES, n°4, Centre Jean Prévost, Université Jean Moulin – Lyon 3, 2006, Diffusion Librairie Droz, Genève, 338 pages.

(sursa foto cover: wikipedia.rog)